1 avril 2020
Les familles face à la crise du Covid-19

Des aidants s’inquiètent des conséquences du confinement. Des Ehpad répondent notamment en rassurant les résidents, en maintenant autant que possible une routine et des activités, et en communiquant avec les familles. Des initiatives venues de l’extérieur permettent également de créer du lien. 

La crise sanitaire causée par la pandémie de Covid—19 et les mesures gouvernementales pour la contrer, dont le confinement et les interdictions de sortie sans raison valable, bouleversent le quotidien de tous les Français. Elles chamboulent également le quotidien des personnes touchées par la maladie d’Alzheimer ou une maladie apparentée et leurs aidants, tant à domicile qu’en Ehpad.

Les craintes des familles 

« Quand j’ai appris que je ne pouvais plus aller voir ma mère en Ehpad, j’ai été consternée. Le traumatisme a été aussi fort que lorsque j’ai appris qu’elle était atteinte de la maladie d’Alzheimer », explique Martine Bou, aidante de 68 ans et présidente de France Alzheimer Essonne. « Au début, j’ai eu du mal à comprendre que je ne pouvais plus aller la voir. Je me suis dit qu’il y allait avoir une répercussion sur sa santé. J’avais plus peur de l’impact du confinement sur son psychisme que du virus lui-même. C’est toujours le cas aujourd’hui d’ailleurs. Je me demande comment je vais la retrouver à la fin de cette crise. Sera-t-elle renfermée? Aura-t-elle vécu un terrible sentiment d’abandon ? J’ai peur que la maladie s’amplifie, que les symptômes s’accélèrent. »

L’Ehpad où réside la mère de Martine a mis en place un dispositif pour que les résidents puissent communiquer avec l’extérieur : entretiens téléphoniques, visioconférences avec Skype… « Quand elle m’a vue sur un écran, elle était un peu perdue. Elle m’a dit : « Je te vois mais je ne peux pas te toucher, et ça me manque » Ma mère me demandait ce qui se passait dehors. A cette femme de 90 ans, je ne pouvais pas parler de confinement, de guerre, pour éviter qu’elle ne prenne peur, pour éviter de lui faire resurgir un douloureux souvenir vécu quand elle était jeune fille. Alors je parlais de microbes. » 

Martine soupire. « C’est difficile. J’ignore si la maison de retraite et les psychologues vont parvenir à expliquer et ré-expliquer la situation à ma mère. En tout cas, personne n’est contaminé dans cet Ehpad. Le personnel est au complet et il est à l’écoute. Les activités se poursuivent. Ils essayent au maximum de préserver les routines, même si les familles ne viennent plus. » 

Écouter, communiquer et maintenir les activités

Directeur de trois Ehpad dans le Loir-et-Cher, Pierre Gouabault comprend l’inquiétude de Martine Bou. Il évoque tout d’abord la réorganisation nécessaire au sein des établissements qu’il dirige. « Nous avons tout inventé. Cette crise a nécessité de revoir en urgence tout ce qui fait sens dans notre travail. La question de la dynamique sociale est un sujet que nous abordons depuis plusieurs années et la favoriser est aujourd’hui une évidence absolue

. C’est quand les portes se ferment qu’il faut sortir autrement, par la fenêtre si j’ose dire. »

Malgré la situation, les équipes de Pierre Gouabault continuent donc leur travail. « Il faut tout d’abord entendre l’émotion des résidents, qu’elle puisse être déposée. Il faut que ça sorte. J’ai eu le cas de résidents inquiets parce que les pompiers sont venus, parce qu’il y a eu une suspicion de coronavirus.Le dépistage nous a appris qu’il n’y avait rien finalement. Toute inquiétude doit être reprise individuellement et collectivement, parce qu’il faut préserver cette dynamique sociale collective. Nos équipes se forment, nous en avons fait une priorité. Nous renforçons donc les moments d’animation, les moments au pôle d’activités et de soins adaptés. Nous ne nous concentrons pas uniquement sur les soins, l’hygiène, l’alimentation… »

Les Ehpad de Pierre Gouabault essaient, autant que possible, et comme d’autres – pour autant qu’ils ne soient pas touchés par le coronavirus – de maintenir une certaine routine, essentielle pour les personnes touchées par la maladie d’Alzheimer ou une maladie apparentée. « La routine, c’est l’apaisement. Il est important pour nous, professionnels, de proposer cette routine, même dans ce contexte hors-norme. C’est autant de repères qu’il faut maintenir pour éviter l’angoisse collective, sans prendre les gens pour des imbéciles. Tous nos résidents sont très sensibles à leur environnement. La première des choses, c’est donc mettre des mots sur leurs émotions, puis de proposer de l’activité et de maintenir les repères habituels. »

Pierre Gouabault et ses équipes n’ont pas oublié les aidants dans cette crise. « La question de l’inquiétude des familles est omniprésente et ils peuvent nous poser toutes leurs questions. Nous devons prendre les devants en la matière. Il faut donner des informations collectives, régulières. Nous ne devons pas être dans une communication a posteriori. Il faut anticiper et donner des nouvelles au fil de l’eau. A titre d’exemple, sur mes trois établissements, nous écrivons tous les jours un mail aux familles avec des photos. J’écris personnellement deux fois par semaine aux familles pour leur expliquer la façon dont on gère la crise, et les conséquences dans l’organisation courante de l’établissement. Il faut aussi que les familles puissent émettre leurs émotions. Nous avons ainsi mis en place une cellule d’écoute psychologique par téléphone. »

Et les retours sont positifs : « Les familles disent qu’elles pensent à nous, elles nous remercient. Elles disent que nous sommes leurs mains qui touchent leurs parents que eux, ne peuvent pas toucher. Ces soutiens-là nous permettent de mettre du carburant dans la machine parce que nos salariés sont comme nous tous. Ils peuvent avoir peur, ils peuvent douter, ils peuvent être fatigués. Mais quand des familles nous disent qu’elles ont confiance en nous, qu’elles sont avec nous, c’est formidable. »

Se tourner vers l’extérieur

Pour développer cette dynamique sociale, Pierre Gouabault veut que ses Ehpad soient tournés vers l’extérieur. Il accueille donc toutes les initiatives avec plaisir. Nombreuses sont celles qui émergent en cette période de crise sanitaire. Parmi elles, celle de Delphine Dupré-Lévêque, anthropologue, et ancienne membre du conseil scientifique en sciences humaines et sociales de France Alzheimer et maladies apparentées.

« J’ai beaucoup d’amis directeurs d’Ehpad et suite à l’annonce de la période de confinement, ils m’ont exprimé leurs difficultés, leur désarroi et la détresse des familles. J’ai voulu apporter mon aide, à mon échelle », explique Delphine Dupré-Lévêque. « Nous avons lancé une idée sur Facebook, une page dénommée Stop à l’isolement. J’ai contacté Sophie Darel qui a tout de suite accepté de participer et de faire une vidéo. Elle a soulevé des montagnes à mes côtés et j’ai eu d’autres célébrités comme Michel Jonasz, Michel Drucker, Evelyne Leclercq… On fait tout ça de manière artisanale, du mieux qu’on peut. On fait les films à la maison. Mon fils est derrière la caméra. Et on ajoute les vidéos des célébrités. Un de mes amis qui a participé à la création d’Arthrose TV [NdlR : une télévision sur Internet qui propose un journal télévisé décalé et porté par les résidents d’un Ehpad de Mimizan (Landes)], m’aide pour le montage. Sophie Darel m’aide également à trouver des contacts pour essayer de trouver un maximum de personnalités. »

Ces vidéos peuvent ensuite être utilisées dans les Ehpad, ou même à domicile. « Ces vidéos sont des supports d’animation. L’idée est de pouvoir aller au chevet de chaque résident et qu’il puisse choisir un artiste. Cela permet de créer une discussion, d’évoquer des souvenirs… J’ai reçu des retours positifs. Les résidents sont heureux de voir que l’on ne les laisse pas tomber, ils sont heureux de voir que des personnes comme Sophie Darel, Michel Drucker, Michel Jonasz et d’autres entendent leur souffrance. » 

Et Delphine Dupré-Lévêque d’ajouter : « On dit toujours que les vieux ne peuvent plus s’adapter à quoi que ce soit, mais c’est faux. Ils ont tout vécu avant nous. C’est juste un épisode de plus dans leur vie. Un épisode difficile. Mais il y a une entraide formidable. » 

« Cette crise nous a à la fois enfermés mais elle a aussi montré que nous avons envie et besoin de s’ouvrir, que nous avons besoin d’extérieur », enchaîne Pierre Gouabault. « Tous ces élans de solidarité seront autant de réconciliations pour penser l’accompagnement de demain des personnes âgées… Il y aura un avant et un après Covid—19. Nous demandons des moyens depuis des années, mais aussi un autre regard sur la question de l’âge, sur la question des plus fragiles de notre société dont ceux qui ont la maladie d’Alzheimer ou une maladie apparentée. Je suis à la fois inquiet et à la fois émerveillé parce que le plus beau est devant nous quand nous serons sortis de cette crise. » 

Découvrez l’initiative de Delphine Dupré-Lévêque “Stop à l’Isolement” : https://www.stopalisolement.com/